François-Michel Lambert
« l’économie circulaire crée de la croissance et des emplois ».

Fondateur et Président de l’Institut de l’économie circulaire, le député écologiste François-Michel Lambert plaide pour un véritable changement de paradigme, motivé par l’impératif de préservation et d’optimisation des ressources.
Pourquoi avoir créé l’Institut de l’économie circulaire à l’automne 2012 ?
Si tout le monde commençait alors à parler d’économie circulaire, il n’existait pas de structure pour coordonner une stratégie en faveur de ce nouveau modèle. L’Institut a donc été créé ex nihilo, dans une démarche « œcuménique » rassemblant des femmes et des hommes politiques de tout bord, ainsi que tous les acteurs concernés par le sujet : entreprises petites et grandes, collectivités territoriales de toutes tailles, ONG, écoles et universités, centres de recherche… L’objectif initial était double : d’une part, concevoir un corpus de documents et une définition admise par tous ; d’autre part, mener des opérations de lobbying, au sens positif du terme. Quatre ans plus tard, je crois pouvoir dire que nous avons largement réussi à imposer le sujet dans la société française, même si beaucoup reste à faire.
Quelle est aujourd’hui la définition communément admise de l’économie circulaire ?
L’économie circulaire est un modèle complexe construit autour de l’impératif de préservation et d’optimisation des ressources, qui s’oppose au modèle actuel, linéaire, fondé sur la dépendance et le gaspillage. Il s’agit de rechercher systématiquement l’usage le plus efficace de la ressource, par des pratiques très diverses : réparation, réemploi total ou partiel, tri, recyclage, partage (location, prêt ou don)… Cela suppose avant tout d’être créatif. Par exemple, les déchets produits par telle entreprise peuvent constituer une matière première pour telle autre. Ou encore, au lieu d’acheter une voiture pour la faire rouler quelques heures par jour, un particulier peut louer un véhicule selon ses besoins et le partager avec d’autres. En France, notre consommation de matières premières s’élève à quelque 15 tonnes par an et par habitant. Pour subvenir à nos besoins, nous avons aujourd’hui besoin de l’équivalent de 1,6 planète par an… Ce n’est pas soutenable ! Il y a urgence à réduire notre impact sur les ressources qui constituent notre bien commun.
Quels sont les éventuels blocages ?
C’est essentiellement une question de culture et de perception. L’économie circulaire impose de passer d’une économie de la possession à une société de l’usage et du partage. Mais partager une voiture ou choisir un téléphone mobile d’occasion n’est pas encore pleinement entré dans les mœurs. Réutiliser des eaux usées régénérées pour sa consommation non plus.
Vous dites que l’Institut de l’économie circulaire a réussi à faire avancer la société française. De quelle manière ?
En effet, la France est aujourd’hui un pays en pointe sur l’économie circulaire, sans doute même le plus avancé du monde. La loi sur la transition énergétique du 17 août 2015, qui reprend en grande partie la définition de l’économie circulaire donnée par l’Institut, a renforcé l’arsenal législatif pour encadrer la transition du modèle actuel à une économie préservatrice des ressources, qu’il s’agisse du développement de l’offre de pièces de réemploi pour la réparation automobile, de la lutte contre le gaspillage alimentaire ou de l’intégration de l’économie circulaire dans le rapport RSE des sociétés cotées, par exemple. Mais au-delà du pouvoir législatif, c’est toute la société qui s’est emparée du sujet : entreprises, collectivités, associations, écoles de management qui intègrent désormais ce sujet dans leur cursus… En France, c’est bien souvent la société civile qui donne l’exemple, quand dans d’autres pays, les stratégies relèvent davantage d’une logique de planification.
Quelles opportunités l’économie circulaire peut-elle présenter pour les entreprises ? Et pour les citoyens ?
Pour les entreprises, elle se traduit par la création de marges nouvelles, en lien avec la lutte contre le gaspillage et la recherche d’efficacité de la ressource. Prenons l’exemple de la SNCF qui exploite plus de 30.000 km de voies ferrées. Elle détient un foncier énorme pour un usage très peu dense, de quelques minutes par jour parfois. Et si ces voies étaient équipées de panneaux solaires pour produire de l’électricité verte ? En Normandie, une route solaire intégrant des cellules photovoltaïques est déjà en test depuis quelques mois. C’est une source réelle de richesse et de croissance.
Plus largement, l’économie circulaire permet une relocalisation de l’industrie car c’est dans les territoires que se font l’efficience, donc la création d’emplois. C’est aussi le développement d’une économie d’hyper proximité, basée sur le troc, l’échange, le prêt, le local, le coopératif, parfois les monnaies complémentaires. Un pan entier de la société peut ainsi modifier la façon de construire sa vie.
Quels sont les leviers d’action pour favoriser son développement ?
Les leviers sont d’ordre fiscal et réglementaire, qu’il s’agisse de mesures incitatives (aides publiques, bonus) ou répressives (comme la taxe carbone). Les actions de formation et d’information sont également primordiales, pour contribuer à la prise de conscience des différents acteurs et à la diffusion des bonnes pratiques. Enfin, l’outil numérique a un rôle très important à jouer, par exemple pour l’éco-conception de matériaux biosourcés innovants, l’amélioration du suivi et des performances du recyclage et surtout pour plus de productivité par le partage de l’usage des produits, etc.
Quelles sont les perspectives pour l’institut de l’économie circulaire ?
L’économie circulaire est un nouveau paradigme. Nous allons continuer à militer pour une véritable stratégie nationale reposant sur des objectifs à court et long terme, à l’instar de la politique énergétique. Pour ce faire, nous pensons que le pays a besoin d’un délégué interministériel, voire d’un ministre transversal, dont l’action irrigue non seulement les services du Ministère de l’Environnement et ceux du Ministère de l’Economie et les Finances (pour bâtir de nouveaux modèles de partenariats autour de cycles), mais également de la Culture, de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Nous voulons aussi continuer à mobiliser les acteurs dans toutes les filières, notamment l’agriculture, et lancer une dynamique au niveau européen en prenant l’exemple français comme modèle.
Innovation économique et sociale